Mon point de vue sur la radio numérique DAB en 1996


En 2016, je m'exprimais au sujet de la radio numérique (DAB). Propos recueillis par Yvon AVENEL pour Electronique International en septembre 1996, illustre avec toujours autant d'actualité la problématique d'une technologie qui tarde à aboutir...

Le DAB terrestre est un «délire» technologique

Gilles MISSLIN, PDG de la société AZTEC (STRASBOURG), estime que les gains en qualité sonore offerts par le DAB (Digital Audio Broadcasting) terrestre sont insuffisants pour concurrencer la FM. « Celle-ci, par contre, peut encore beaucoup s'améliorer ».

YA Le CSA vient de lancer un appel à candidatures aux futurs opérateurs de réseaux DAB. L'exploitation de ces futurs réseaux audionumériques pourrait débuter dans quelques mois et concurrencer les émissions FM. Certains de vos concurrents dans le domaine de la FM s'apprêtent à suivre le mouvement. Vous, pas. Pourquoi.?

GM Nous n'avons pas c'est vrai l'intention d'être acteurs dans le domaine du DAB. Nous entendons, au contraire, nous concentrer sur le marché des équipements d'émission et de réception FM, et notamment sur celui de leur renouvellement. Je crois en effet beaucoup plus aux potentiels de la radiodiffusion FM pour exploiter des applications inédites dans le domaine de la culture, de l'information et améliorer le confort d'écoute qu'aux avantages incertains du DAB. Pour moi, le DAB est en phase de « délire technologique » car il s'est construit hors de toute prise en considération du contenu des programmes qu'il allait permettre de transmettre. Voilà cinq ans que la technologie existe, et les récepteurs grand public ne sont toujours pas là. Je ne vois pas bien pour quelles raisons le marché pourrait subitement décoller aujourd'hui.

YA Le DAB offre tout de même une qualité d’écoute supérieure à celle de la FM....

GM En labo, oui. Mais là où la radio est habituellement écoutée, en voiture avec un niveau de bruit ambiant de 60dB, ou dans une cuisine, c'est bien différent. En réalité le DAB n'offre pas d'avantages palpables susceptibles de provoquer une adhésion massive du public, comme ce fut le cas avec le disque compact face au vinyle, ou avec le GSM, venu en complément du téléphone classique. Bien sûr, on peut mettre en avant les avantages objectifs du procédé, mais on ne sait pas en trouver de déclinaison subjective, la part séduisante du rêve la seule qui compte en ce domaine. On nous parle de bits par seconde, de fréquence d'échantillonnage, de compression de données, en oubliant les points essentiels de la radiodiffusion : le programme, le format de la station d'émission. Je suis convaincu que la maîtrise de la technologie n'est pas une condition suffisante pour engendrer, dans ce domaine, un marché grand public. Nous illustrerons très certainement dans les prochains mois cette conviction avec des partenaires de premier plan et l'annonce d'un projet porteur d'un nouveau « format » de station de radio FM à grande échelle, qui mettra en avant des contenus de programmes d'un nouveau style et non la technologique de transport employée.

YA Mais le DAB pourrait aussi servir de support à des applications nouvelles, comme la diffusion de données ou d'images...

GM Ces «explorations» sur d'éventuelles applications nouvelles trahissent bien l'errance dans laquelle se trouve aujourd'hui le DAB terrestre. On a le «tuyau»; il a coûté très cher et on cherche maintenant ce que l'on pourrait bien faire passer dedans: des images, du multimédia! Tout a été monté à l'envers. S'il existait des applications de diffusion de données «juteuses», celles-ci seraient déjà en exploitation ou en test avec le RDS ou avec le système Swift/Darc. Il ne faut pas oublier, en outre, que le DAB est un système de radiodiffusion: il ne dispose pas de voie de retour de données. Ce type de procédé ne résistera pas à la concurrence des systèmes de transmission de données bidirectionnels ou d'images comme ceux offerts par la téléphonie cellulaire ou ceux qui sont en passe de se développer sur Internet. Deuxième point : les avantages, les gains objectifs en qualité sonore et en confort d'écoute que procure le DAB terrestre seront peu à peu rattrapés par les progrès continuels des techniques du traitement numérique du signal appliqués à la FM synchrone ou « isofréquence », au traitement du signal sonore et aux procédés d'émission et de réception FM.

YA Le DAB n'aurait-il donc aucun avenir ?

GM Je ne veux parier ni sur l 'échec ni sur le succès du DAB. Quoi qu'il arrive, son utilisation en double emploi avec la FM le disqualifie. Mais il y a encore d'autres raisons qui militent contre lui. Qui paiera en effet les réseaux d'émissions terrestres qu'il va réclamer lorsqu'on sait qu'ils devront être cinq fois plus denses que ceux de la FM (une portée de l'ordre de 10 Km contre 50 pour la FM) ? Qui prendra le risque d'un succès national si ce ne sont les opérateurs institutionnels tels TDF ou Radio France, avec à la clé l'éventualité d'un échec à l'échelle internationale comme cela s'est déjà produit avec le D2 MAC ? A cela s'ajoute la réticence des Américains vis-à-vis de ce système européen. L'imposer sans eux présente des risques d'échecs cuisants et d'investissements à fonds perdus. Enfin, j'ai la conviction qu'avant même que le DAB terrestre ne se développe, le DAB par satellite, avec des applications d'une autre ampleur et des programmes d'un genre nouveau, s'imposera naturellement et tuera du même coup son homologue terrestre dans l'oeuf.