Pourquoi la Radio Numérique se passera du standard T-DMB ?


A la suite de la publication de cet article par la lettre pro radio, Jean-Paul Cluzel, à l'époque président de Radio France, m'a invité à venir le voir pour comprendre. Jean-Paul Cluzel réalisait alors que Radio France avait fait fausse route en cautionnant le T-DMB plutôt que le DAB+.

A l’heure où la mondialisation s'invite chez nous, une poignée de décideurs français vient de faire, pour la radiodiffusion de demain, sa petite tambouille, selon les méthodes héritées de l'époque où la France dictait à son marché intérieur la façon dont il devait se comporter.

La décision du gouvernement en faveur de la norme DMB (Digital Multimédia Broadcasting), plutôt qu’une autre, ou plutôt qu’aucune norme, résulte d’un processus de concertation au cours duquel les groupes et personnalités fortes de leur fortune, de leur pouvoir, de leurs intérêts personnels ont été assurément écoutés et mieux entendus que les autres. En optant pour un standard sensiblement différent (DMB) de celui adopté par quelques voisins européens (DAB/DAB+), la France refait à la radiodiffusion, le coup (fumant encore) de la norme SECAM qu’elle avait choisie en 1967 pour sa télévision.

En optant pour la norme DMB, le gouvernement a vu le potentiel incroyable de ces postes de radios révolutionnaires made in France qui promettent de doper chaque programme radio d'une image par seconde... Que TF1 se rassure, la diffusion de ces images ne sera pas de la télévision mais plutôt une sorte de diaporama accompagnant le programme radio. Hum. Nous voici revenus aux temps du cinématographe, du Minitel ou du Bi-bop. La diffusion d'images qui caractérise le DMB, se fera au détriment de la bande passante globale occupée par le système, donc au détriment de la pluralité et des nouveaux entrants: la norme DMB remplit ainsi l’objectif des grands réseaux radio français.

Une image par seconde avec le DMB? Nos jeunes poufferont de rire devant un récepteur DMB ou décerneront à ce standard le trophée de la bouffonnerie technologique. Quel avantage trouveront-ils au poste DMB face aux performances d’un téléphone mobile 3G dont certains modèles offrent déjà la connexion à n’importe quelle station de radio du monde entier, accompagné d'images venues de l’internet mobile, de clips et autres stimulis, avec en prime l’interactivité ludique, nomade et marchande?

Quant aux plus vieux, ils ne manqueront pas de se souvenir qu’on leur avait promis publiquement des récepteurs DAB (Digital Audio Broadcasting) en vente à la fnac pour noël 1996. Onze ans après, le loup de la radio numérique révolutionnaire est de retour... Mais faut-il y croire une seconde fois?

Dans l’hypothèse où quelques émetteurs DMB venaient à voir le jour, l’écoute de ces nouvelles diffusions hertziennes serait jalonnée de zones d’ombres. Celles-ci seront alors matérialisées par de vrais silences aux endroits où la FM et son RDS font encore bien le boulot en basculant en mono ou en grésillant. Il est probable que l’infrastructure DMB, qui par construction est condamnée à se déployer ex nihilo, sera victime de l’envol des charges liées à la multiplication des supports de diffusion qui pèsent aujourd’hui sur les éditeurs de programmes radiophoniques.

Vue sous l’angle de l’internet fixe, les habitudes d’écoute de la radio se développent discrètement. Des opérateurs de diffusion live comme CreaCast observent pour certains programmes, une augmentation de l’audience de près de +10% par mois. Une lame de fond se prépare. Amener un programme radio live spécifique pour chacun des 60 millions de français via internet et en qualité CD, nécessiterait une bande passante internet cumulée de 2000 Gigabits/s (=2000000 Megabits/s ou encore 2 Terrabits/s). Cette évaluation amusante, à la limite de l’absurde, aboutit en fait à des ordres de grandeur que manipulent déjà les opérateurs internet et transporteurs de flux de données actuels. A lui seul, le routeur phare de la gamme du constructeur américain Juniper sait aiguiller plus de 1000 Gbit/s de trafics individuels; en 2007, on peut estimer sans trop se tromper que chaque ville de plus de 200000 habitants compte au moins un routeur internet de ce calibre... Le maillage de ces villes sur notre territoire est assuré par des artères optiques composées de dizaines ou centaines de fibres, aptes à transporter des débits situés actuellement entre 40Gbits/s et 5000Gbits/s.

S’agissant de l’internet en mobile, quoiqu’en disent les Wifis et les Wimax, ce seront les opérateurs de téléphonie mobile qui nous serviront l'internet à chaque coin de rue. Cet internet sera à l’image de la puissance de feu technique et économique des opérateurs de téléphonie mobile: une continuité outdoor et indoor inégalée, un maillage et un handover de plus en plus performants. Comme pour l’internet fixe, la facturation de l’internet mobile « à l’accès » (forfait) se substituera à l’actuelle facturation à l’acte (volume ou durée). Pour les constructeurs de téléphones portables, le haut débit en mobile, la 3G et les services media associés constituent, après la téléphonie traditionnelle, la prochaine poule aux œufs d’or... L’évolution actuelle de leurs cours de bourse en témoigne.

Alors qu'aucun émetteur DMB n'a encore été exploité en France et qu'il n'existe pas un récepteur DMB distribué sur le marché européen, on se préoccupe déjà de gérer la pénurie spectrale pour ce nouveau standard. Comment défendre l'espoir de centaines de stations de radios, de jeunes créateurs radiophoniques, de web radios, associatives locales, et de projets de radio alternatifs? Par avance et par calcul, on sait que le système DMB n'en accepterait que quelques unes et à un coût d’insertion locale très supérieur à celui d’un programme national. Pour tenter d’influer sur le résultat de cette loterie, le cirage de pompes des décideurs, les danses du ventre des syndicats, et le ballet des lobbies a commencé. Tout le monde se précipite sur la ressource annoncée avec un espoir démesuré. La majeure partie des projets pluralistes, inédits et originaux sera écartée du spectacle hertzien nouvellement promu. Les quelques projets réellement indépendants qui réussiront à tirer leur épingle du jeu se compteront sur les doigts d'une main et serviront de cache sexe. Ils seront dépouillés par les investissements qu’auront engendré leur espérance, avant même d’accéder au statut «on air», puis ils seront « rachetés » ou « récupérés »... en vingt ans de radio on connaît bien la chanson, c’est un tube.

Les grands groupes, forcément initiés, se partageront l’essentiel du gâteau. Les voilà à la manœuvre pour pouvoir opérer les futurs multiplex DMB. Chaque groupe radio parisien actuel aura bien pris soin de proposer une multitude de programmes thématiques "très originaux", "tout à fait inédits", "bien clean" fabriqués en quelques clics grâce à des systèmes de radio-automation, qui seront concentrés sur quelques mètres carrés. Là aussi, on joue un air déjà connu.

Entre la décision d'un gouvernement qui croit encore influer sur l’avenir des médias, et la décision du marché, quiconque est en mesure de deviner laquelle l’emportera, tout compte fait. L'internet comme vecteur pour la radio de demain (numérique évidemment), ce sera assurément le choix de nombreuses stations de radios, à l'instar de ces artistes connus et inconnus qui abandonnent leurs maisons de disques devenues « has been » pour se vendre, « en direct », sur la toile. En fait, l’internaute, libre dans ses choix, fait exploser progressivement les concepts de « distribution » et de « diffusion », tant sous l’angle technique que commercial. A la maison, sur son mobile, dans sa voiture, dans les transports en commun, la formidable ubiquité de la radio épousera celle naissante de l'internet mobile. La radio FM trouvera ainsi son digne successeur dans des formats qui seront dessinés par les créateurs radiophoniques de demain.

En 100 ans, nous serons passés d'une diffusion radio nationale monolithique de masse (grandes ondes) à une diffusion multiforme individuelle, personnalisée et interactive. Dans un monde où la liberté de l’individu prime, il s’agit d’une tendance irréversible.

Les 10 ans à venir seront les années de construction de l'internet mobile et de l’internet « medias ». Tous les fournisseurs d’accès internet ont ouvert leurs portails de programmes radio en ligne que l’on écoute sous une forme ou sous une autre. Baracoda, Medion, Terratec, Sonos, Philips, Sagem, sont autant de constructeurs qui proposent depuis quelques mois des « transistors wifi » pour la maison et des services pionniers en la matière. Ils sont d’ores et déjà relayés par les Nokia et autres fabricants d'équipements de téléphonie et de connectivité hyper nomades dont les applications font émerger, depuis peu, des solutions pour l’écoute de la radio par flux sur internet. Toutes ces solutions favorisent la déferlante de flux « unicast » éliminant progressivement les candidats techniques privilégiant les techniques broadcast ou multicast. Et pour finir, l’internet nous réserve son joker technique: IPV6; une révolution de protocole et des mesures au service de l’ubiquité et de l’individualité des terminaux.

Le gouvernement français a tenté de réduire la Radio Numérique en l’associant au standard DMB qu’il vient de retenir. Heureusement, personne ne sera dans l’obligation d’adopter ce standard car l’internet émet déjà la Radio en Numérique dans le monde entier et les programmes radios inédits, originaux et pluralistes y sont déjà avec tous les autres d’ailleurs ?