En 2009, comment voyais-je l'avenir pour la radio numérique ?
Article rédigé en 2009


Quelle avenir pour la radio numérique en France ? Article rédigé en 2009.

Jusqu’à aujourd’hui les procédés de diffusion radio analogique faisaient partie de la culture générale : nos parents et nos grands parents parlent encore d’ondes longues, d’ondes moyennes, et d’ondes courtes. Nous parlons encore volontiers de radio FM ou de modulation de fréquence. Chaque procédé évoquait une évolution majeure et des caractéristiques inédites.

Les ondes longues et les ondes moyennes ont été largement développées par les états, notamment durant la 2ème guerre mondiale: un émetteur suffisait pour couvrir un pays, dépasser ses frontières et assurer une propagande ou la transmission de messages d’information. Le développement des ondes longues et ondes moyennes s’est poursuivi après guerre avec l’arrivée de stations de radio privées. Certains émetteurs ondes longues, comme celui de France Inter à Allouis, sont toujours exploités : ce procédé d’émission s’éteindra vraisemblablement avec la disparition de la génération qui l’a accompagné.

Les ondes courtes ont accompagné les efforts de propagande politique à destination exclusive de pays lointains et d’autres continents. Le rayonnement de pays comme la France est passé par l’exploitation massive des ondes courtes dès l’après guerre. La mondialisation, la levée des barrières politiques et géographiques, l’internet sont autant de paramètres qui tendent progressivement, depuis les années 90, à l’arrêt des émissions en ondes courtes.

La modulation de fréquence FM est née en 1933 a été imaginée par Edwin Howard Armstrong. Le début de l’exploitation de la modulation de fréquence se situe à la fin des années 1940, aux USA. Les premiers grands déploiements européens sont apparus à partir de 1954. A cette époque, la modulation de fréquence a apporté une qualité audio révolutionnaire. La modulation présente des intérêts indirects qui ont favorisé son déploiement : des émetteurs bien plus simples (classe C), des récepteurs guère plus coûteux que les récepteurs AM, des systèmes d’antennes d’émission et de réception moins encombrants, et plus performants qu’en AM.

Le principe de codage stéréophonique en modulation de fréquence, inventé par General Electrics et Zenith Electronics a fait son apparition dans les années 60 : il s’agit d’une nouvelle révolution technique qui a profité des premiers circuits intégrés pour se démocratiser à peu de frais. La stéréophonie en modulation de fréquences a été rajoutée au dispositif sans empêcher le fonctionnement des récepteurs plus anciens, déjà sur le marché.

Au cours des années 70, le transistor et le circuit intégré apportent deux caractéristiques supplémentaires à la radio : la légèreté du récepteur et l’autonomie électrique. Les prix des postes de radio chutent. A cette époque, on découvre le pouvoir discriminant de nos oreilles : les grésillements ne sont pas gênants si le message est intelligible. Grâce à cette caractéristique humaine, pour couvrir 95% de la population française, il faut en moyenne, 1 émetteur FM pour 1000km2 : en mobilité, notre bon sens fait que nous comprenons facilement qu’à certains endroits, la radio grésille, l’important étant de la recevoir.

A la fin des années 80, le système RDS se superpose (sous-porteuse rajoutée) au signal radio FM, toujours en parfaite compatibilité avec le parc d’émetteurs et de récepteurs FM en place. Le système RDS est rapidement exploité pour la diffusion de services de radiomessagerie (messages de type texto) par des opérateurs de diffusion comme TDF. Dès le début des années 90, le système RDS (Radio Data System) devient une norme européenne et se démocratise par sa simplicité et le fait qu’il ne nécessite pas une remise à plat de la radio FM traditionnelle. La FCC adopte en bloc le RDS européen comme la norme de référence aux Etats-Unis. Les applications exploitées en RDS présentent une tolérance élevée aux erreurs qui ne doivent pas être visibles par l’utilisateur final. Le RDS présente un débit très faible (30 octets/seconde) mais intéresse toujours des acteurs de référence par l’importante couverture des stations de radio FM : des entreprises comme Viamichelin, TomTom, V-Trafic exploitent largement le système RDS pour diffuser des informations de traffic (TMC) à l’échelle européenne et à destination des terminaux de navigation. Ce n’est que récemment que les stations de radio ont découvert l’aptitude du système RDS à diffuser, par exemple, des données associées au programme radio diffusé et notamment le titre du morceau en cours de diffusion.

Les années 90 ont été marquées par l’apparition des technologies numériques dans la chaîne de production et de transmission de la radio. Dans les studios, les logiciels de « radio automation » remplacent progressivement les lecteurs CD. Les radios d’autoroute apparaissent à partir de 1991 : les techniques d’émission en iso-fréquence sont déployées grâce à la maîtrise, en numérique, du synchronisme des signaux. Du coté des émetteurs FM, le signal émis est désormais généré de manière numérique. Des équipements de traitement de son font leur apparition sur les sites d’émission: les excursions et les niveaux de signaux sont progressivement maîtrisés au kHz ou au dixième de dB près, les stations de radio peuvent quadrupler la puissance sonore de leur programme (+6dB) tout en continuant à respecter les limites règlementaires. Les récepteurs FM gagnent en sélectivité et les premiers traitements numériques font leur apparition: la limitation du souffle par traitement DSP, la diminution automatique de la séparation stéréo, le basculement automatique de fréquence sont autant d’améliorations remarquées par l’auditeur. Là encore, la radio FM se met à jour : sans aucune modification de la norme d’émission, elle bénéficie de manière naturelle des améliorations technologiques remarquables du moment. Au bout du compte, la qualité du signal sonore s’améliore par la numérisation progressive du stockage et des moyens de transport audio. La couverture apparente des stations de radio s’accroit par le gain en sélectivité des récepteurs d’une part, et par les dispositifs de traitement de signal sonore mis en œuvre par les stations de radio. Enfin, la généralisation du RDS à tous les émetteurs FM et tous les autoradios apporte à l’auditeur le confort que nous promettait à cette époque, la radio numérique.

En 1988, une première démonstration mondiale de la radio numérique (norme DAB, Digital Audio Broadcasting) est réalisée. Le système est mis au point par le CCETT (Centre Commun d’Etudes de Télédiffusion et de Télécommunications) et l’IRT (Institut Für Rundfunktechnik). En 1990, le principe COFDM est adopté pour le DAB. En 1992, la France adopte la bande L pour la radio numérique. En 1996, en France, le CSA autorise des essais en radio numérique (DAB comme Digital Audio Broadcasting). En 1998 la radio numérique française est proposée au grand public, on recense à cette époque 15 autoradios compatibles. Le DAB passera au 21ième siècle sans auditeurs.

En 1997, les « web radios » font leur apparition. Les web radios sont numériques par définition. Elles profitent des technologies de streaming live (diffusion en direct par flux). La « bulle techno » fait ressortir une série de procédés de diffusion en streaming live utilisés par les stations de radio traditionnelles et les web radios : Shoutcast (NullSoft), Icecast (libre), Windows Media (Microsoft), QuickTime (Apple), Realplayer (RealNetworks), Flash (Adobe). On notera que ces procédés apparaissent en l’absence de cadre normatif et sans stimulation étatique ou européenne... c'est même le contraire: Microsoft voit contraint par l'Union Européenne de ne pas fournir Media Player avec ses systèmes d’exploitation ! Dès 1999, la commercialisation des premières lignes ADSL en France apportera une réalité aux solutions de streaming live en permettant la diffusion et l’écoute de programmes à 128kbits/s, en MP3 pour les internautes équipés d’ordinateurs et de lecteurs (players) du type Winamp, Windows media player, QuickTime player ou Realplayer. TDF (Télédiffusion de France) sent le vent tourner et ouvre en 1998 sa filiale Tv-Radio (Radios.fr) consacrée à la diffusion en streaming de stations de radio.

Le début du nouveau siècle sera marqué par la révolution de l’internet dans les rédactions et et les studios. Les logiciels de radio-automation bénéficient de ce nouveau support : la télégestion des ordinateurs de diffusion, l’automatisation des échanges de contenus radiophoniques, sont autant de nouveautés dont s’empare rapidement la profession. Les patrons de stations de radio se rendent compte qu’un ordinateur peut à lui seul tenir l’antenne 24h/24h, sans que les auditeurs traditionnels s’en aperçoivent. Les recettes publicitaires augmentent grâce aux principes de décrochages publicitaires télé-gérés, qui permettent de diffuser de la publicité sectorisée. A la fin des années 2000, un seul ordinateur est capable de de produire simultanément 40 programmes radio. Les charges de personnel diminuent, les charges de diffusion FM baissent du fait de la concurrence accrue à laquelle TDF est soumise, enfin, des solutions de transport audio économiques sur IP et via Internet apparaissent sous forme de services clé en main, notamment avec la société CreaCast.

En 2006, le projet français « FM2006 » (rebaptisé FM+), lancé par le CSA et conduit par Philippe Levrier (à cette époque, membre du collège du CSA), aboutit en 3 ans à la mise en service d’un millier d’émetteurs FM supplémentaires. Comment ? Coté émetteur, les progrès effectués dans la maîtrise numérique de l’occupation d’un canal FM ont été généralisés. Coté réception la sélectivité des récepteurs FM, dopée par le décodage 100% logiciel (« software radios ») a apporté à la modulation de fréquence ce que seule la théorie pouvait lui promettre. Certains tabous ont été balayés comme l’impossibilité en France de planifier des canaux au-delà de 107.3 ; l’écart en fréquence entre deux émetteurs a été réduit lorsque ceux-ci diffusent le même programme. Les outils de planification ont bénéficié de la puissance de calcul des ordinateurs : là où, dans les années 90 il fallait des jours pour évaluer la pertinence d’un scénario de planification, il ne faut plus que quelques minutes.

Depuis 2005, c’est la société Nokia qui fabrique le plus grand nombre de récepteurs de radio FM au monde : des dizaines de millions chaque mois. Les constructeurs de téléphones portables habituent leurs clients à l’écoute de la radio avec un téléphone portable. Les performances de ces téléphones-walkmann FM sont dopées par la géolocalisation et l’internet : les listes de stations sont actualisées et l’auditeur n’a plus à se soucier de connaître les fréquences.

En 2009, après 23 ans d’existence, la radio numérique terrestre diffusée (RNT) tente pour la dernière fois de s’imposer. Une première tentative avait été réalisée par le gouvernement français en 1997. Les années 2010 verront-elles la diffusion de la radio numérique terrestre ? Les doutes sont multiples. Régulée et tenue en laisse par le CSA, la profession est rompue au conformisme et ne dispose pas de latitudes pour se permettre la moindre impertinence.

La probabilité de voir échouer la radio numérique est grande. La RNT n’offre rien de neuf au grand public. La qualité audio ne sera pas au rendez-vous. En effet, en adoptant la norme T-DMB, des compromis ont été réalisés par le gouvernement français pour maximiser le volume de données associées et le nombre de chaînes. Les récepteurs de radio numérique seront plus coûteux que les récepteurs FM et présenteront une autonomie similaire aux transistors des années 70. L’effet binaire dit « falaise » du numérique sera frustrant: là où la radio analogique était audible avec des grésillements, en campagne ou en montagne par exemple, elle ne le sera plus en numérique. Nombreux ont été ceux qui annonçaient une diffusion numérique 5 fois moins cher : les devis tombent actuellement et, malgré la concurrence, les frais d’exploitation annuels d’un émetteur numérique sont au même niveau que ceux pratiqués en FM.

Dans les bilans comptables des stations de radio, les frais de diffusion FM représentent la première charge… comment la profession va-t-elle pouvoir supporter la multiplication par deux leurs charges de diffusion, sans gagner un seul auditeur ? Là où en FM, une station de radio pouvait se contenter d’un seul émetteur pour couvrir une zone donnée, il est probable qu’elle doive à terme combler les trous de diffusion qui apparaîtront en numérique (tunnels, zones fortement urbanisées, campagne, montagne). Cela passera par l’exploitation d’un réseau d’équipements secondaires (émetteurs, ré-émetteurs et gapfillers) parfois plus coûteux que l’émetteur principal.

Pendant que la radio numérique terrestre diffusée s’essaie, la radio numérique « live » par internet se développe discrètement sous deux formes : d’une part le streaming indépendant des opérateurs télécom, d’autre part, la constitution de bouquets par des fournisseurs d’accès (FAI). De nouveaux modèles économiques font leur apparition. Certains opérateurs sont désormais prêts à rémunérer les chaînes de radio pour disposer de leur programme, alors que jusqu’à présent, l’inverse était la règle.

Depuis près de 80 ans, les états consacrent énormément d’efforts et d’attention au développement et à la promotion des technologies de diffusion en mode broadcast. Au fil des années, les cellules géographiques de diffusion radio sont passées du pays (ondes longues), aux régions (ondes moyennes et émetteurs FM à couverture surfacique), aux villes (radio FM). Les micro-émetteurs FM ont fait récemment leur apparition et permettent à un individu d’émettre en radio FM dans une « cellule » de quelques mètres pour atteindre son poste de radio de cuisine avec le son issu de son baladeur MP3, par exemple. La cellule radio est progressivement passée du programme unique pour les habitants de tout un pays au programme individuel. Enfin, l’internet rompt les limites géographiques imposées par les zones de couverture, la reconnaissance de l’individualité auditrice apparait. Cette rupture remarquable et remarquée permet à des programmes thématiques d’atteindre des individus rattachés par des réseaux communautaires qui prennent racine sur internet.

Depuis quelques mois, les gadgets, widgets, players envahissent les ordinateurs et les téléphones portables : l’internet fournit la dématérialisation du poste de radio. Les récepteurs de radio sont « virtuels », le « physique » laisse la place au « logique ». Oui, les années 2010 seront assurément marquées par l’internet mobile à haut débit et le cortège d’applications qui en découlent. La radio fera partie de ce paysage. Certains doutent toujours de la capacité des opérateurs à pouvoir livrer un flux radio individuel à chaque internaute pendant qu’au même moment Orange fait le plein d’abonnements de téléphonie mobile 3G incluant une offre de télévision, mobile évidemment…

Fin 2008, à l’occasion du salon « Le Radio », la société CreaCast a montré qu’il était possible de faire le tour du boulevard périphérique parisien en écoutant n’importe quelle webradio avec un téléphone portable 3G, sans trou de couverture ni coupures. Début 2009, à l’occasion de salon CES (Consumer Electronic Show à Las Vegas) Blaupunkt annonce la création de deux modèles d’autoradios « internet ».

L’internet n’a pas attendu les décisions de l’état pour se développer et se structurer en France comme ailleurs : le gouvernement français n’a pas eu à imposer par voie règlementaire le protocole internet TCP/IP pour l'internet français. Ce ne sont pas les gouvernements qui ont imposé la norme MP3 aux baladeurs, mais bien le MP3 qui s’est imposé par les faits du marché. Ainsi, l’internet mobile ne subit pas d’autre pression que celle de la demande du marché.

L’article 19 modifié par l'ordonnance n°2009-1019 du 26 août 2009 - art. 8., relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur - art. 79, paragraphe V, récemment adopté interdit implicitement, à partir de 2013, que des récepteurs FM soient vendus sans qu’un tuner de « radio numérique » les accompagne ! Pourquoi forcer le destin de la radio numérique terrestre à l’échelle de la France alors que le marché est mondial? Au nom de quel l’intérêt agit notre gouvernement ? Pourquoi s’obstiner à pénaliser la radio française d’un « laboratoire numérique RNT à la française » qui ne trouvera pas de financement et affaiblira le média et une profession… Quelle urgence y a-t-il à vouloir étouffer l’écosystème radiophonique hertzien, faire disparaitre la bande FM (inexploitable par d'autres services) en imposant un calendrier de passage au numérique terrestre et de surcroit en pleine récession économique?

Les opérateurs de téléphonie mobile vivront la prochaine décennie comme les opérateurs de téléphonie fixe ont vécu le début du 21ème siècle: l’épopée du haut débit a transformé nos usages et nos habitudes à la maison et au travail. L’internet à très haut débit s’apprête à nous accompagner partout, comme le fait aujourd’hui la radio FM… La radio endossera de nouvelles qualités héritées de l'ubiquité interactive propre à l'internet : ce sont ces qualités que plébisciteront les auditeurs. La radio numérique de demain prendra le chemin le plus facile et le moins couteux pour atteindre son auditeur : en la matière l’internet mobile est assurément le favori !

Rédigé et publié le 1er septembre 2009, par Gilles Misslin, pour le Guide professionnel de la Radio 2010