Parapente et mental
Retour d'expérience


Mévouillon, il est 9h, samedi 27 avril 2019, je me gare. Je me suis inscrit au stage proposé par Esprit Parapente, intitulé « préparation mentale au parapente ». Je sais pourquoi je suis ici. J’en ai parlé à personne. Au rendez-vous, quatre autres participants. Nous nous disons bonjour, et échangeons des banalités, avec retenue. La météo n’est pas au rendez-vous : qu’allons-nous faire ?

Delphine arrive et nous accueille. D’emblée, elle installe avec des mots précis, la bulle dans laquelle nous devrons évoluer au cours des cinq jours du stage, en fixant des règles. Rien d’ésotérique, pas de fumette, un discours clair et pragmatique. Un tour de table s’engage autour des motivations de chacun. Je prends la parole en premier et me lance. J’explique qu’au fil des années, l’idée d’aller faire du parapente me donne de plus en plus « la boule au ventre ». Ce mal-être m’accompagne pendant une période bien délimitée : celle qui part de l’instant où j’envisage d’aller voler jusqu’au moment où, arrivé sur site, je commence à déplier. Ce stress nébuleux s’amplifie lorsque je fixe un rdv avec un passager pour un biplace. Pourtant, en 10 ans de pratique, ma progression est rectiligne, je ne me suis jamais fait mal, pas d’accident, pas de secours tiré, rien. Delphine écoute et m’interroge, presse le citron, avec des questions courtes et sans détours. Ça me fait du bien de pouvoir en parler, sans crainte d’un jugement, d’une rigolade.

Successivement, nous nous écoutons, les uns les autres. Chacun d’entre nous se livre en quelque sorte. Je découvre que les récits ne sont pas forcément centrés sur le niveau de la pratique, ni sur le matériel, ni même sur la technique. Mon problème, c’est mon anxiété, mais pour certains cela pourra être par exemple « voler plus performant » ou bien encore « surmonter un blocage installé ». C’est clair, la singularité du stage fait que nous ne n’y sommes pas inscrits par hasard. Nous parlons du rapport à notre pratique. Tous, nous évoquons nos épisodes de bien-être émaillés de vécus problématiques. Blocages, peurs irrationnelles, anxiété, difficultés à décider. Puis, des échanges spontanés émergent, toujours sous la modération de Delphine. Le cadre du stage est installé. Aujourd’hui, c’est mistral, Delphine nous invite à aller jouer au sol, sur la pente de l’atterro de Buc, à 10 minutes de son école.

Nous voilà avec nos voiles, plus ou moins au-dessus de nos têtes. Delphine nous demande de « porter l’attention » successivement sur un jeu de sensations qu’elle a désignées avec précision. Ma voile au-dessus de moi, je ferme les yeux et explore mes mouvements, les manières avec lesquelles je compense machinalement, je me replace, j’agis sur les freins. Plus laborieusement, je place mon attention là où, sur mon corps, s’exercent les forces, les points d’appui et la portance. Un flot de pensées défile et perturbe ma concentration : « fais-je bien ? espérons… ». « Aie, je vois Delphine qui monte dans la pente et se rapproche de moi… », « faut pas que je mette la voile dans les buissons, de quoi aurais-je l’air ? » « au fait, pourquoi fais-je du parapente ? » « j’ai acheté ma sellette réversible il y a 3 ans, j’ai fait l’Air Tour 2018 avec, et dire que je ne l’ai jamais réglée ni même cherché à comprendre comment l’ajuster à ma morphologie… ». Elle m’interroge, recueille mes impressions, s’enquiert de mes sensations puis suggère sans injonctions : « il est intéressant de travailler l’expérience de l’appui sur les talons ». Puis, à mon tour je poursuis mes interrogations.

Bien évidemment, au cours de ces 5 jours, j’ai volé. Du « volume » comme dit Delphine. Les séquences de vol sont ponctuées par des exercices invoquant notre attention et des échanges en groupe et individuels. La confiance s’installe entre nous tous. Pendant les pauses, nous continuons à échanger sur nos vulnérabilités, nos doutes. Comme par exemple un manque de confiance en soi, ou le fait que nous bâclions la prévol pour écourter la phase de stress qui accompagne la préparation. Entre quatre yeux, Delphine m’interpelle « sur le niveau de marges que je prends dans ma pratique ». Tout en gonflant, perdu dans mes pensées, je découvre que je n’ai pas perdu la confiance en moi. Je reste des minutes entières les yeux fermés avec ma voile au-dessus de moi. Pourtant un coin de mon âme est irrité sans que je puisse poser des mots adéquats sur ce malaise qui m’a incité à suivre ce stage. J’arrive à encore à prendre plaisir, rassembler l’énergie mentale pour passer des moments inoubliables, par exemple avec les passagers que j’emmène en bi. Pourtant, si ça continue à évoluer, le stress, l’anxiété et les marges que je me fixe m’empêcheront, à moment donné de poursuivre la pratique.

Les journées de stage s’enchaînent. Nous volons à St Vincent les Forts, Buc, Bergiès, Col d’Ey. Le soir, le temps de rentrer chez moi dans la vallée du Buëch, à une heure de là, mes pensées au sujet de ma pratique continuent à se bousculer. Toujours sur le trajet du retour, je me remémore les accidents et incidents auxquels j’ai assisté sur mes sites favoris ou simplement ceux qui s’y sont produits. Les années de pratique mon engagement associatif, font que le nombre de parapentistes (amis ou des simplement croisés à moment donné.) qui se sont tués en vol, augmente. L’un avait l’âge d’un de mes garçons et depuis 18 mois, je ne cesse de me dire que sa disparition aurait pu être évitée. Je sais que je suis sensible, empathique, mais suis-je encore résiliant ? Et puis, je réalise que mon implication, certes légère, dans la commission sécu de la Ffvl m’expose à la morbidité de notre pratique. Un des membres de cette commission m’a confié avoir cessé de voler…

Le lendemain matin, j’évoque mes sombres pensées, avec Delphine qui me retourne cash : « ben là tu prends cher, Gillou ». A cet instant, sa bienveillance et sa complicité, inattendues, me touchent, confirment mon malaise. Peu à peu, je prends conscience que j’ai perdu confiance en la pratique du parapente et suis pollué par les drames qu’elle engendre. Et Delphine de trouver un instant pour me souffler en aparté des mots qui l’ont elle-même inspirée « et combien de gens le parapente a-t-il sauvés ? ». Je mets un peu de temps à intégrer cette réaction, singulière à première vue : renverser le propos pour y retrouver des bénéfices en face des pertes.

Mais comment donc sortir du discours interne négatif, cet état dépressif à l’égard de ma discipline préférée ? Voici un exemple. Fin de journée, au déco du col d’Ey, Drôme, le vent est de travers gauche, 10/20 km/h. Un local avec une voile perf décolle et rase le relief jusqu’à perte de vue pour réapparaître 15 minutes plus haut à 400m au-dessus. Un autre, accoutré tel un Daft Punk, décolle comme pour faire 250 bornes avec son gun et file au tas.

Au déco, Delphine se rapproche de moi et me chuchote : « c’est quoi ton plan ? ». Moi : « peut-être à gauche, mais il y a le venturi du col, peut-être à droite mais purée faudra que je gratte en m’éloignant de manière interminable au risque de ne plus raccrocher l’atterro. Pfff, en fait je n’ai aucun plan, et je ne trouve que des raisons pour ne pas y aller ». Elle me regarde, dans les yeux, me lance une petite phrase en référence à un des thèmes clés travaillés la veille : activer un « récit intérieur positif, m’y accrocher ». Mes doutes s’estompent. Me voilà à me dire « si Daft Punk est allé au tas avec sa C+ son vario et tout son matos, au pire j’irai le rejoindre dans 3 minutes avec ma B- sans vario. Je n’ai pas d’enjeu, aucune pression, juste un discours intérieur enjoué et gagnant ». Je décolle à droite. Je rase le relief, gagne décimètre par décimètre en jouant sur le dosage millimétrique des commandes et des appuis sellette. A la radio Delphine accumule les encouragements bienveillants mais s’abstient de conseils techniques. Je me dope moi-même en me parlant à haute voix, je me marie avec les courbes de niveau du terrain, tout en conservant une large marge pour un possible escape. Je ne vole jamais avec instruments et fonde mon placement sur un jeu de repères visuels, comme des sentiers, la cime d’arbres remarquables ou des lignes de crête. Dans mon champ de vision, je les observe évoluer au fil de mon avancée. Cela me rappelle des sites de vol singuliers où je me sens si bien : Mison près de Laragne, Mundolsheim près de Strasbourg, Ouen Toro à Nouméa. Cette vision de l’horizon avec ses repères qui se dévoilent ou se dérobent à la faveur de chaque mètre gagné ou perdu, est un de mes « ancrages positifs », autre outil proposé par Delphine, qui appartient au registre de la pnl (programmation neuro linguistique). 10 minutes plus tard, je me retrouve perché à 400m au-dessus du déco, la lumière orangée inondant la large vallée de Sainte-Jalle, le Soubeiran en face, le Ventoux dans mon dos. Je fais un clin d’œil au Daft Punk en train de plier, avec le petit bonheur d’avoir puisé dans mon esprit de quoi fabriquer un joli moment de bien-être.

Le stage s’est achevé par un beau vol du soir, arrivé à top Buc en compagnie d’un vautour, et au loin, le soleil couchant éclairant les falaises du fort. Cinq jours durant, j’étais bien loin des questions liées au matériel, à la maîtrise technique et à la performance. Prendre le temps de poser mon attention sur mes sensations, écouter mon discours intérieur, identifier les signaux physiques qui dénoncent mon état d’angoisse chronique, acquérir quelques méthodes pour m’aider à prendre du recul… Je dispose de premiers outils qui appartiennent à ce que l’on nomme aujourd’hui « sciences de l’esprit ». Ces outils me permettront de revisiter jour après jour ma pratique par le chemin du mental pour apaiser l’anxiété, me détendre et de fil en aiguille, mieux voler et même améliorer ma sécurité. Pour moi, il y aura bien un « avant » et un « après » ce stage. Ce qui est certain, c’est que je retournerai voir Delphine, ne serait-ce que pour reprendre des shoots de bienveillance et de positif…

Article paru dans Vol Passion n°106, septembre 2019 Vol passion : federation.ffvl.fr/vol-passion FFVL : Fédération Française de Vol Libre www.ffvl.fr Esprit Parapente : www.esprit-parapente.com